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Tag - Ben Bernanke

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samedi 13 juin 2015

Les taux d’intérêt sont-il artificiellement bas ?

« Au cours des dernières années, il y a eu tout un débat autour de la faiblesse des taux d’intérêt observée dans la plupart des économies au cours des dernières années pour en déterminer les responsables. Ce débat a été ravivé par la série de billets de blog que Ben Bernanke a récemment publiée à propos des déterminants des taux d’intérêt. Il a de nouveau affirmé que ce sont les dynamiques mondiales de l’épargne et de l’investissement qui ont poussé à la baisse les taux d’intérêt à partir du milieu des années quatre-vingt-dix et de façon plus marquée suite à la crise. Dans son récit, les banques centrales se content simplement de réagir aux conditions économiques plutôt que de contrôler les taux d’intérêt (il est toujours rafraîchissant de voir un ancien banquier central expliquer à quel point les banques centrales sont impuissantes). Ce que Bernanke décrit peut être interprété comme une baisse de ce que les économistes appellent le taux d’intérêt naturel.

Il y a cependant ceux qui ont une interprétation très différente de la faiblesse persistante des taux d’intérêts. Ils considèrent les banques centrales comme les principales responsables de cette tendance et ils considèrent que la faiblesse actuelle des taux d’intérêt est artificielle et que ce sont en l'occurrence les banques centrales qui les poussent à la baisse. Il y a plein de références dans la presse populaire à propos d’une faiblesse artificielle des taux d’intérêt qui provoquerait des bulles, des déséquilibres, qui nuirait aux épargnants et qui sèmerait les graines de la prochaine crise (vous trouvez environ 1 million de résultats si vous faites une simple recherche sur Google).

Dans le monde universitaire, John Taylor a beaucoup parlé des répercussions négatives de la faiblesse artificielle des taux d’intérêt. Il souligne le fait que les taux d’intérêt ont été à un niveau inférieur à celui qu’aurait impliqué une règle de Taylor, ce qui signalerait une politique monétaire excessivement accommodante. Dans un récent billet de blog, il fait référence aux résultats d’une étude réalisée par Fitwi, Hein et Mercer qui cherchent à déterminer qui de Bernanke ou Taylor a raison lorsqu’il s’agit d’expliquer les taux d’intérêt. L’article montre que les deux théories peuvent être justes. Ces faibles taux d’intérêt sont le résultat d’une surabandance d’épargne (saving glut), comme l’estime Bernanke, et que les banques centrales poussent les taux sous le niveau impliqué par une règle de Taylor. Je trouve que les résultats de cette étude sont peu robustes, mais c’est surtout sur l’interprétation de l’hypothèse de taux d’intérêt artificiellement faibles que je m’interroge.

On peut tout d’abord se demander comment se fait-il que certains considèrent que les banques centrales sont tellement puissantes qu’elles contrôleraient et perturberaient un prix de marché pendant une si longue période de temps. Typiquement, les modèles où les banques centrales sont suffisamment puissantes pour faire cela sont les modèles comportant des rigidités nominales dans les prix et les salaires. Mais ces rigidités sont supposées être temporaires, puisque les prix et les contrats sont régulièrement révisés. Comment est-il possible que la banque centrale ait réussi à affecter le prix réel (le taux d’intérêt réel) pendant plus d’une décennie ? Je n’ai pas en tête un quelconque modèle qui soutiendrait cette idée. Ce qui est plus étonnant est que ceux qui tendent à soutenir cette idée sont très souvent critiques vis-à-vis des modèles comportant une rigidité des prix. Donc, d’un côté, ils n’aiment pas les modèles où les banques sont puissantes et, d’un autre côté, ils affirment que les banques centrales ont été surpuissantes au cours des 10 ou 15 dernières années. C’est très incohérent.

On peut également se demander comment il pourrait être possible que le taux d’intérêt soit artificiellement bas et qu’il n’ait pourtant aucun effet sur l’inflation. L’interprétation originelle de la règle de Taylor est qu’elle détermine le niveau de taux d’intérêt qui est cohérent avec un taux d’inflation stable. Comment pouvons-nous expliquer le fait que le taux d’intérêt ait été inférieur au niveau impliqué par une règle de Taylor pendant plusieurs années et que et qu’il n’y ait pas eu d’accélération de l’inflation, mais de faibles taux d’inflation partout où les taux d’intérêt sont faibles ? Une fois encore, je ne vois pas quel modèle pourrait expliquer cela.

Enfin, ceux qui parlent de taux d’intérêt artificiellement faibles ont tendance à s’appuyer sur une analyse de l’économie américaine où celle-ci est isolée du reste du monde. Les taux d’intérêt sont faibles à un niveau mondial, ils demeurent à des niveaux historiquement faibles partout dans le monde. Quel type de coordination pourrait-il y avoir entre toutes les banques centrales dans le monde pour maintenir des taux d’intérêt artificiellement faibles partout sans générer de l’inflation nulle part ? L’étude réalisée par Fitwi, Hein et Mercer essaye de répondre à cette question en analysant les entrées de capitaux aux Etats-Unis et leurs possibles répercussions sur les taux d’intérêt (ce qui constitue finalement un test de l’hypothèse de Bernanke), mais ce n’est pas un bon test. Si vous prenez le monde, il n’y a pas d’afflux de capitaux provenant de d’autres planètes, mais un surcroît d’épargne va toujours provoquer de faibles taux d’intérêt.

En résumé, il y a deux faits très simples qui tendent à soutenir l’hypothèse avancée par Bernanke pour expliquer pourquoi les taux d’intérêt sont (naturellement) faibles :

1. Les taux d’intérêt sont faibles presque partout dans le monde.

2. L’inflation est faible partout dans le monde.

Ces deux faits sont très difficiles à concilier avec l’idée que la Réserve fédérale des Etats-Unis maintient les taux d’intérêt à un niveau artificiellement faible pendant plusieurs années. »

Antonio Fatás, « Interest rates: natural or artificial? », in Antonio Fatás on the Global Economy (blog), 8 juin 2015. Traduit par Martin Anota



aller plus loin... lire « La règle de Taylor doit-elle être une référence pour la politique monétaire ? »

dimanche 25 novembre 2012

Pourquoi la reprise américaine est-elle si lente ?

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« Quels sont les vents contraires qui ralentissent le retour de notre économie au plein emploi ? Certains proviennent du secteur du logement. Les reprises précédentes ont souvent été associées à un rebond vigoureux de l’activité immobilière, comme la progression des revenus, le retour de la confiance et, souvent, une baisse des taux d'intérêt hypothécaires ont puissamment stimulé la demande de logements. Mais la bulle immobilière et ses conséquences ont rendu l'épisode actuel tout à fait exceptionnel. Au cours de la première moitié des années deux mille, les prix immobiliers se sont envolés et la construction s'est trouvée dynamisée pour atteindre des niveaux qui se sont finalement révélés insoutenables, conduisant à un effondrement de l'activité immobilière : entre 2006 et début 2012, les prix de l’immobilier ont diminué de près d'un tiers, la construction de maisons individuelles a chuté de deux tiers et le nombre d'emplois dans la construction a diminué de près d'un tiers. Et, bien sûr, l’explosion des défauts de paiement sur les prêts hypothécaires a contribué à déclencher la crise financière globale.

Récemment, le marché immobilier a montré quelques signes d'amélioration, comme les ventes de maisons, les prix et la construction ont renoué avec une tendance haussière depuis le début de l’année. Ces développements sont encourageants et il semble probable que l'investissement résidentiel sera une source de croissance économique et de nouveaux emplois au cours des deux prochaines années. Cependant, bien que les taux d'intérêt hypothécaires soient historiquement bas et que la baisse des prix des logements rendent le logement très abordable, un certain nombre de facteurs empêche toujours le logement de connaître une reprise vigoureuse, comme il en avait habituellement connu par le passé. Les prêteurs ont notamment maintenu serrées les conditions de prêt hypothécaire (…). Les prêteurs citent un certain nombre de facteurs qui influent sur leurs décisions d'accorder des crédits, y compris les incertitudes entourant l’évolution future de l'économie, du marché immobilier et du cadre réglementaire. Malheureusement, même si un certain resserrement des conditions de crédit hypothécaire était certainement une réponse appropriée aux excès antérieurs, le pendule semble être allée trop loin, pesant sur le rythme de reprise dans le secteur immobilier.

(…) De nombreuses personnes ne peuvent toujours pas acheter de maisons, malgré les faibles taux hypothécaires ; par exemple, environ 20 % des emprunteurs hypothécaires doivent davantage sur leur prêt hypothécaire que ne vaut leur logement, ce qui rend plus difficile pour eux de se refinancer ou de vendre leurs maisons. En outre, un excès de logements vacants, destinés à la vente ou bien issus des saisies, pèse sur les prix immobiliers et rend moins nécessaire de lancer de nouvelles constructions. Bien que ces vents contraires sur l'offre et la demande de logements aient clairement commencé à s'atténuer, la reprise dans le secteur du logement devrait rester modérée par rapport aux normes historiques.

Une deuxième série de vents contraires découle des conditions financières auxquelles font face les emprunteurs potentiels sur les marchés du crédit et des capitaux. Après que le système financier se soit grippé fin 2008 et début 2009, l'activité économique mondiale s'est fortement contractée et les marchés des capitaux ont subi des dommages importants. Bien que les puissantes mesures prises par les gouvernements et les banques centrales du monde entier aient permis à ces marchés de se stabiliser et de connaître une reprise, le resserrement du crédit et le degré élevé d'aversion au risque ont freiné la croissance économique aux États-Unis, ainsi que dans d'autres pays. (…) Les pertes infligées par la crise financière n’ont pas encore été entièrement couvertes dans d’importants segments du secteur financier. (…) Les banques ont été prudentes dans l'octroi de prêts aux consommateurs et aux entreprises (…).

Un risque important à l'heure actuelle (et une importante source de turbulences financières au cours des deux dernières années) est la situation budgétaire et financière en Europe. (…) Le pessimisme en ce qui concerne l'Europe semble avoir pesé sur les cours boursiers américains et empêché les spreads de crédit des États-Unis de diminuer encore davantage. La détérioration des conditions économiques en Europe et d'autres parties du monde ont également pesé sur les exportations et les profits des entreprises américaines. Les dirigeants européens ont pris des mesures importantes récemment et, ce faisant, ils ont contribué à un assouplissement bienvenu des conditions financières. En particulier, le nouveau programme OMT de la Banque Centrale Européenne, via lequel elle pourrait acheter de la dette souveraine des pays vulnérables de la zone euro (…) a contribué à apaiser les craintes du marché à propos de ces derniers. Les gouvernements européens ont pris des mesures pour renforcer leurs pare-feux financiers et progresser vers l’union budgétaire et bancaire. L'amélioration des conditions financières au niveau mondial dépendra de la capacité des responsables européens à mener à bien ces mesures.

Un troisième vent contraire à la reprise (et qui peut s’intensifier dans les trimestres à venir) est la politique budgétaire américaine. Bien que la politique budgétaire au niveau fédéral ait été très expansionniste durant la récession et au début de la reprise (…), le soutien qu’elle apporte à l'économie a de plus en plus été compensé par les répercussions négatives de la consolidation budgétaire des Etats et des administrations locales. En réponse à une baisse importante et durable de leurs recettes fiscales, les Etats et administrations locales ont supprimé environ 600.000 emplois nets depuis le troisième trimestre de 2008 et réduit de 20 % les dépenses pour les projets d'infrastructure. Plus récemment, la situation s'est quelque peu inversée : la politique budgétaire des Etats et des administrations locales a cessé de peser sur la croissance économique comme les recettes fiscales se sont améliorées (…). En revanche, le retrait progressif des programmes de relance antérieurs et les mesures politiques visant à réduire le déficit fédéral ont amené la politique budgétaire fédérale à peu à peu freiner la croissance du PIB. (…) »

Ben S. Bernanke, « Economic recovery and economic policy », discours prononcé à New York, 20 novembre 2012.

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